Gilets jaunes et courbe de Laffer
Petit sujet économique du jour : pourquoi est-ce que la hausse des taxes sur les carburants provoque des émeutes en jaune fluo?.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, il est important de comprendre 2-3 notions économiques pour pouvoir analyser ce qu'il se passe réellement.
La notion d'élasticité des prix.
L'élasticité des prix, c'est le rapport entre une modification de la demande suite à une modification des prix. Instinctivement, on comprend assez bien qu'une hausse de prix d'un bien entraîne une baisse de la demande pour ce bien. Plus il est cher et moins on va en acheter.
Ce rapport est intéressant car une hausse de 10% des prix n'entraîne pas forcément une baisse de 10% de la demande. Par exemple, on peut avoir une baisse de seulement 5% pour une hausse de prix de 10% => j'aurais intérêt à augmenter les prix car en totalité, mes ventes vont augmenter. A l'inverse, si une hausse de prix de 5% entraîne une chute des ventes de 10%, on aura plutôt intérêt à baisser les prix pour augmenter les ventes globales.
Donc, intuitivement, on sent bien que si on connait bien la courbe d'élasticité d'un produit, on peut optimiser son prix pour obtenir le revenu total des ventes le plus élevé possible.
Il existe des cas particuliers à l'élasticité des prix. Par exemple, pour les produits de luxe, plus le prix augmente, plus les ventes augmentent car dans nos esprits faibles, le prix est gage de qualité.
Mais voici le plus intéressant : l'élasticité nulle. Ce cas particulier signifie que une augmentation (ou une diminution du prix) d'un bien n'a aucune influence sur la demande ou la quantité de produits vendu. C'est le cas des produits de première nécessité, des médicaments, etc. car il n'y a pas de produits de substitution. C'est le cas des carburants, en particulier pour les personnes qui n'ont pas d'autre moyen de transport à leur disposition.
La courbe de Laffer (https://fr.wikipedia.org/wiki/Courbe_de_Laffer )
La courbe de Laffer est illustrée par la maxime "Trop d'impôt tue l'impôt". La courbe de Laffer est une courbe en forme d'arche. Elle illustre le fait qu'au-delà d'un certain taux d'imposition, l'impôt devient punitif et détruit son assiette fiscale. Par exemple, si on augmente trop la TVA, cela aura pour effet de ralentir l'activité économique et donc de réduire les échanges et au final, de diminuer l'impôt récolté. Un impôt à 100% aurait pour conséquence de détruire toute activité économique.
Il existe donc un pic de taux d'imposition qui permet à un état de maximiser ses recettes fiscales, au-delà de ce taux, les recettes diminuent et détruisent petit à petit l'assiette économique. Malheureusement, ce taux maximal est difficile à évaluer car le contexte économique est assez mouvant. Par contre, on peut se rendre compte si en augmentant l'impôt, les recettes diminuent, on a clairement passé le pic.
Cela va favoriser les déplacements des personnes ayant un plus haut revenu car elles ont les moyens de se déplacer (avec leurs entreprises) vers des cieux plus favorables, les entreprises vont faire de plus en plus d'optimisation fiscale, voire de frauder, les ménages vont réduire leur consommation, etc. Bref tout va concourir pour que l'économie ralentisse et que les recettes fiscales diminuent. L'état sera alors tenté d'augmenter encore plus son taux d'imposition pour combler ses déficits et cela va encore accentuer le ralentissement de l'économie. A partir d'un certain taux, l'imposition est telle qu'elle n'est plus supportable.
Application pratique la courbe : on peut appliquer un taux d'imposition prohibitif sur un produit pour tenter d'en tuer le commerce. C'est ce qu'on fait par exemple sur le tabac. On applique un taux d'imposition prohibitif en espérant en étouffer le commerce. Par contre, on va stimuler la contrebande ou les produits de substitution.
Vous voyez où je veux en venir et le rapport avec les gilets jaunes? Est-il possible d'appliquer un impôt punitif sur les carburants pour essayer d'en diminuer la consommation dans un but écologique?
Au départ, l'idée semble intéressante malheureusement, les carburants sont aussi un exemple typique de produit avec une élasticité des prix nulle. C'est à dire que l'augmentation des prix ne changera pas beaucoup la consommation. Cette augmentation des prix aura donc un impact direct sur le portefeuille des ménages. C'est pour cette raison que les gens se sentent piégés car il n'y a pas de solutions alternatives pour ceux qui n'habitent pas les villes. La conséquence directe d'une augmentation des taxes sur le carburant, c'est uniquement de faire passer directement plus d'argent des ménages vers l'état et cela sans avoir une réelle baisse sur la consommation en carburant.
Ces dernières années, on a plutôt désinvestit dans les transports ferroviaires pour se concentrer plutôt sur les grosses lignes, obligeant les gens à faire de plus en plus de kilomètres en voiture pour rejoindre, quand ils le peuvent, un gare. Remarquez en passant que les citadins boudent de plus en plus la voiture car ils ont des offres de transports en communs efficaces. L'augmentation du prix des carburants a eu un effet positif en ville.
Mais il ne faut pas croire que la fronde des gilets jaunes s'arrête au prix des carburants. Ce n'est que la pointe la plus visible de l'iceberg, surtout quand, grâce au web, il est si facile de comparer le prix du diesel dans les autres pays et de se rendre compte très facilement du niveau d'imposition excessif de son propre pays. En effet, la grogne est aussi motivée par un taux d'imposition trop élevé car nous sommes bien dans la partie descendante de la courbe de Laffer, là où l'imposition est perçue comme une spoliation. En fait, le taux d'imposition global devient punitif et commence à saper sensiblement la consommation des ménages, en particulier les ménages de la classe moyenne car ceux-ci sont captifs de l'impôt. Pas assez riches pour se délocaliser et pas assez pauvre pour profiter de la redistribution des aides. Ce sentiment de spoliation mène donc à un soulèvement social. La grogne des gilets jaunes d'aujourd'hui a bel et bien été théorisée économiquement il y a quelques dizaines d'années.
La solution serait probablement de diminuer le taux global d'imposition pour repasser dans la première partie de la courbe et aussi augmenter les recettes fiscales de l'état. Et concernant les carburants fossiles, augmenter les taxes de façon démesurée ne changera rien à la consommation de la population. Les prix étant déjà prohibitifs, ce qu'il faut proposer, c'est des alternatives crédibles aux déplacements ruraux, ré-ouvrir les anciennes lignes de chemin de fer, élargir la zone de desserte des grande villes, trouver des solutions innovantes en terme de co-voiturage, etc. Le gros challenge des dirigeants, c'est que diminuer l'imposition est un processus qui prend du temps et donc les effets ne sont visibles qu'après plusieurs mois, voire années. Or ça va être difficile d'apaiser un tel mécontentement social avec uniquement des belles promesses qui ne seront visibles que d'ici 1 ou 2 ans, restaurer un sentiment de justice fiscale dans toutes les couches de la population et étoffer l'offre des transports en commun...